Sorges et la truffe
Sorges et la truffe : une longue histoire d'amour
Ce n’est pas sans légitimité que Sorges s’affiche aujourd’hui comme une capitale de la truffe.
Non point que la commune ait la prétention ridicule d’être le berceau unique du précieux tubercule, qui apparut il y a bien longtemps, partout où les conditions environnementales, géologiques et climatologiques étaient réunies.
Non point que la quantité de truffes récoltées aujourd’hui sur son territoire la propulse dans le livre des records, qui pourrait davantage consacrer des qualités gustatives soulignées depuis plus d’un siècle par quelques uns des plus grands spécialistes gastronomiques.
Si ce n’est la truffe elle-même, c’est la naissance de la trufficulture au XIXe et au début du XXe siècle, qui a donné définitivement à Sorges son indiscutable légitimité de capitale. On doit en effet à l’initiative de quelques personnalités sorgeaises un véritable changement de statut de la truffe au cours des deux siècles passés : d’un champignon « sauvage » mis capricieusement par la nature à la disposition d’une population de chercheurs-cueilleurs, elle est devenue un vrai produit de culture, à tous les sens du terme. Sorges est ainsi devenue une capitale à la fois culturale et culturelle de la truffe.
Culturale, d'abord
Dès le début du XIXe siècle, c’est à Sorges que l’on voit les premières tentatives destinées à « donner un coup de pouce décisif » à la nature : quelques semis de glands de chênes truffiers, comme celui réalisé sur deux hectares par Monsieur MONTIGNAC, du hameau de « Saleix », donnent des résultats plus qu’encourageants (200 kilos de truffes, les bonnes années, issus du semis de « Saleix »).
En 1837, « au Bouquet », le baron Bertrand de MALET met en sol une multitude de plants de chênes truffiers. Entre 1840 et 1868, il développe cette pratique à une échelle inédite, dans d’anciennes vignes, sur les coteaux de « La Palue » : plus de 60 hectares sont alors plantés.
Ces techniques culturales furent couronnées de succès. A la fin du XIXe siècle, Sorges enregistrait une récolte annuelle de 5 à 6 tonnes de truffes, soit à peu près l’équivalent de la production actuelle de la Dordogne tout entière !
La production de truffes remplaça avantageusement celle du vin, qui s’était effondrée après les ravages du phylloxéra, fit la fortune de quelques familles sorgeaises et assura un complément de revenu non négligeable pour tous les agriculteurs qui possédaient des parcelles sur le causse.
Au demeurant, toutes les truffes dites de Sorges ne provenaient pas du terroir de la commune, mais beaucoup de producteurs des communes environnantes ne voyaient que des avantages à bénéficier d’un label qui avait gagné une belle réputation, dans les différents concours départementaux notamment. Après tout, le vin de Bordeaux n’est jamais venu exclusivement des vignobles plantés dans notre capitale régionale ! Mais ce phénomène a aussi été favorisé par l’altruisme des Sorgeais : au lieu d’essayer de garder jalousement pour eux les progrès qu’ils faisaient faire à la trufficulture, ils eurent immédiatement l’envie de les diffuser et d’en faire bénéficier les autres.
Le centre "culturel" de la truffe
La truffe et la trufficulture devinrent rapidement pour toute la population sorgeaise des objets de spéculation intellectuelle tout autant, sinon davantage, que de préoccupation mercantile.
A Sorges, le mystérieux champignon et la possibilité de favoriser sa naissance intéressèrent très vite tous les milieux de la société, et pas seulement les agriculteurs : dans ce domaine aussi , les Sorgeais furent précurseurs d’un phénomène devenu courant aujourd’hui, de plus en plus de trufficulteurs contemporains ayant une activité principale sans lien avec le monde agricole. Apparut ainsi au début du XXe siècle toute une génération de producteurs d’un genre nouveau, qui exerçaient des professions à dominante intellectuelle mais étaient devenus également des praticiens et des théoriciens de la trufficulture.
C’est, par exemple, le cas de Sylvestre DELTEILH, instituteur à Négrondes, qui avait acheté une propriété agricole à « Ogres » et planté ses chênes truffiers sur un plateau du causse, à cheval sur les communes de Savignac-les-Eglises et de Saint-Jory-Lasbloux, mais à deux kilomètres à peine du clocher de Sorges. Ayant affiné avec succès plusieurs techniques culturales, il donna de multiples conférences dans le département et dans les départements alentour pour inciter les propriétaires de terrains de causse à se lancer dans l’aventure et pour les guider de ses précieux conseils. Il fit imprimer en 1901 le texte de l’une de ses conférences, donnée la même année, afin de toucher le plus grand nombre : « La trufficulture et le progrès » (Imprimerie Joucla – Périgueux).
Le plus célèbre de ces trufficulteurs sorgeais, à la fois praticien et théoricien, est sans conteste Louis PRADEL, médecin de son état. Il avait hérité une propriété à « Hâche » (non loin de celle de Sylvestre DELTEILH, sur la commune de Savignac-les-Eglises), qui lui permit de développer son domaine truffier au-delà des parcelles plantées « aux Dugassoux », où il habitait et avait installé son cabinet de médecine. La remarquable réussite des techniques qu’il mit en œuvre sur une grande superficie, attestée par la quantité et la qualité de la production qui en résulta, l’incita à publier en 1914 son « Manuel de trufficulture », qui reste l’un des textes fondateurs de la trufficulture moderne.
Le mélange étroit de la pratique et de la théorie a fait naître chez nous une véritable culture de pays truffier. Tous les Sorgeais de souche sont plus ou moins trufficulteurs et la truffe est au centre de beaucoup de conversations, auxquelles participent avec la même ardeur ceux qui ne possèdent pas le moindre arbre truffier sur le causse…
La truffe entre dans un mode de vie, dans un rapport particulier à la nature, elle est un lien entre ceux qui vivent sur son terroir et un symbole fort pour l’identité d’un pays. Les villages truffiers du causse, tels que Sorges, ont une partie plus ou moins importante de leur sol qui est calcaire : que celui-ci soit jurassique ou crétacé, il a produit hier beaucoup de truffes et peut demain renouveler ce prodige, si les hommes savent le « commander à la nature en lui obéissant », pour paraphraser la belle formule de Jean ROSTAND.
Une réalité toujours vivante
La réédition en 2007 du manuel du docteur PRADEL, due à la passion et à la ténacité d’Henri DESSOLAS, Sorgeais de cœur et « humaniste de la nature », a eu , entre autres grands mérites, celui d’activer une mémoire toujours vivante.
Le lien entre Sorges et la truffe est si fort que passé et présent sont indéfectiblement soudés. Toutes les familles sorgeaises implantées dans la commune depuis au moins un siècle ont des archives qui leur parlent de truffe et de trufficulture, de petits secrets et de grandes réussites.
Bertrand de MALET ? il était l’arrière- grand-père de Michel de JUGLART, maire de Sorges de 1965 à 1978 et beau-père de Catherine de JUGLART, maire-adjointe aujourd’hui. Sylvestre DELTEILH ? il était l’arrière- grand-père de mon épouse. Quant au docteur PRADEL, il n’était autre que l’arrière-arrière- grand-père de Jean-Paul et de Pierre CHAMINADE : le premier est l’un de mes adjoints à la mairie et habite la maison qu’occupait son glorieux ancêtre ; le second perpétue la tradition familiale en exploitant le plus grand verger truffier de Sorges, réputé pour la qualité de sa production
Faut-il rappeler que Jean-Charles SAVIGNAC, l’actuel président de la Fédération Française des Trufficulteurs, fut maire de Sorges de 1978 à 2001 et que pendant ses mandats ont été crées l’Ecomusée de la Truffe et la renommée Fête de la Truffe, qui revient chaque année le dernier dimanche de janvier ? Jeune élu municipal, il eut dès le début des années 1970 ( il y a déjà plus de 35 ans ! ) la lumineuse idée de doter Sorges d’ une image forte , en mettant en valeur son riche passé trufficole et en donnant un avenir à cette grande tradition . Grâce à lui , Sorges et truffe sont devenues quasiment synonymes : on pense « Sorges » dès que l’on entend « truffe ». Personne n’ a oublié non plus tous ces Sorgeais passionnés, pour la plupart issus de familles ancrées dans la commune, qui ont tant oeuvré autour de lui pour faire mériter à Sorges ses galons de capitale .
Quant à la fameuse « auberge de la truffe » de Jacqueline LEYMARIE, elle est devenue une étape incontournable pour tous les gourmets : pourrait-on aujourd’hui l’imaginer ailleurs qu’ à Sorges ? Tant d’efforts remarquables méritaient d’être poursuivis et prolongés : depuis 2005, un marché hebdomadaire aux truffes anime les dimanches d’hiver au pied de l’église romane Saint-Germain et, le 14 janvier 2010, une superbe maison des Villages Truffiers a ouvert ses portes , en offrant un nouvel écrin digne de l’incomparable joyau qu’est notre « diamant noir ».
La réédition du manuel de Louis Pradel , qui intègre de précieuses contributions des meilleurs spécialistes contemporains , permet de faire la jonction entre l’observation éclairée de la nature qu’avait ce grand précurseur et les découvertes les plus récentes de la science. Mais aussi de confirmer que passé, présent et avenir sont les maillons d’une seule et même chaîne.
Jean-Jacques RATIER
Jean-Jacques RATIER Maire de Sorges et Ligueux en Périgord